Une journée ordinaire à la Bibliothèque

Les premières lueurs de la matinée transpercèrent par la fenêtre de la Bibliothèque, illuminant les rayons des étagères, colorés et bigarés des reliures aux différentes formes et aux différentes tailles des livres soigneusement rangés. Comme à chaque matin, on pouvait entendre un léger bruissement parcourant la salle, comme si des multitudes de pages étaient tournées en même temps, mais très discrètement. C'était le bruit des livres s'éveillant, commençant leur journée comme n'importe quel autre créature qui s'éveillerait dans son chenil. On pouvait sentir la même impression que l'on a le matin, lorsque l'on se balade dans la rue et qu'on sent que les arbres sont remplis d'oiseaux, même si ceux ci ne chantent pas; ici un d'entre eux s'envole, là un autre bat des ailes, un autre encore nourrit ses petits, piaillant dans leur nid... et bien c'était à peu près la même impression qu'on pouvait ressentir lorsque l'on flannait à l'aube dans ce lieux chargé de magie et d'enchantements (bien entendu, aucun livre ne nourrissait ses petits, mais la métaphore est judicieuse: vous y seriez, vous comprendriez).

Les rayons du soleil s'étendaient peu à peu dans toute la Bibliothèque, jusqu'à finalement atteindre un coin reculé, près de la grande porte, où se trouvait le bureaux du Bibliothècaire. On pouvait y distinguer une couverture à carreaux étendue sur quelquechose qu'on aurait pu confondre avec un sac pleins de babioles. Celui-ci se mit justement à remuer, et une main au doigts longs et fins, brune avec des poils oranges sur le dessus, sortit des couvertures et tira celles-ci. Lentement, posément, le Bibliothécaire s'étira dans un baillement à en achever des corneilles. Ses deux bras tendus et dépliés vers le ciel donnaient l'impression qu'il allait toucher le plafond. Après cette petite scéance matinale (déplier et replier les bras lentement, pour un orang-outan, est une activité qui peut prendre plusieurs minutes), il aggripa le bureau, et d'un petit bond agile, il se retrouva à terre. Il se mit à marcher vers les étagères en se dandinant, comme à son habitude, et attrapa un sac négligemment posé à terre entre deux rayons. Il le mit en baluchon sur son dos, puis grimpa sur l'étagère la plus proche en s'aidant de son unique main libre et de ses pieds préhensibles, et se cala tout en haut, en tailleur, de sorte qu'il était face à la plus haute fenêtre donnant sur le lever de soleil. Le Bibliothécaire posa le sac entre ses jambes, l'ouvrit, et en sortit une banane, qu'il pela lentement, avec une moue qui lui donnait l'air d'avoir toute la concentration du monde pour cette tâche. Il mangea la banane goulûment, le visage baigné de soleil, puis en ressortit une autre et répèta l'opération jusqu'à que le sac soit vide et qu'un gros tas de pelures de bananes se soit formé à côté de lui. Il mit ensuite les pelures dans le sac, le jeta à terre, et descendit rapidement l'étagère, caressant au passage la reliure d'un livre qui donna l'impression de ronronner à son contact. Il emmena ensuite le sac avec lui sous son bureau, s'assit à sa chaise, prit une paire de binocle de son tiroir qu'il ajusta sur son nez, ouvrit un gros livre de compte, et commença à le feuilleter conscienceusement. Son expression, avec ses lunettes, les sourcils relevés et sa moue concentrée, lui donnait l'air d'un singe savant.

Déjà on entendit les pas se rapprocher, et la lourde porte de la Bibliothèque s'ouvrit. Le Bibliothécaire leva les yeux vers elle, près à accueillir le nouvel arrivant comme il se doit. Une nouvelle journée venait de commencer dans la Bibliothèque d'Elementia.

Bibliothèque d'Elementia, fin de matinée. Tel un chasseur guettant sa proie, le Bibliothécaire était là, pieds et mains par terre, le corps à ras du sol, prêt à bondir. Sa position lui faisait ressembler à une gigantesque araignée poilue et orange. La tension dans l'air était palpable: il regardait fixement dans un coin sombre de la Bibliothèque, derrière une petite commode, mais restait en position, sans faire le moindre mouvement. La sueur coulait sur son front, et une moue et des sourcils froncés lui donnaient un air terrible. Le Bibliothécaire était certain de l'avoir vu se réfugier ici, sous la commode, et maintenant sa proie ne bougeait plus, croyant qu'elle n'avait pas été repéré.

Au bout d'un long moment, quelque chose bougea sous la commode, et une couverture de livre sortit timidement un coin. C'était le moment! Le Bibliothécaire bondit en l'air et retomba juste en face de la commode, plaquant ses deux mains par terre à l'endroit exact où le livre était sortit. Hélas, une fraction de seconde trop tard. Le livre fonça à toute vitesse vers l'étagère en face et vira sur la gauche. Il s'agissait d'un exemplaire du Velocius Animus Billis, un manuel de soin des animaux magiques qui traitait des sorts et des différentes méthodes pour ranimer une créature magique endormie, évanouie ou même dans le coma. Le problème était que ces sorts sont souvent de nature excitante ou bien tendent à augmenter la rapidité de leur destinataire. Ce genre de bouquin était toujours accroché à son étagère par une chaine de métal, car les sorts qu'il contenait le poussait à vouloir bouger partout en permanence, ce qui bien sûr nuit au calme d'une Bibliothèque et complique fortement les choses lorsque quelqu'un veut l'emprunter. Celui-ci venait justement de réussir à s'échapper. Le Bibliothécaire était fort ennuyé: le livre avait réussit à arracher la chaine de l'étagère. Probablement que celle ci était trop vieille et trop rouillée. Quoiqu'il en soit, le problème restait le même: il fallait attraper le livre qui vraisemblablement ne comptait pas se laisser faire.

Le Bibliothécaire sauta sur une étagère et se déplaça d'étagères en étagères par de bonds agiles, se pendant à elles exactement comme si il se pendait aux arbres, comme ça:



Un long jeu de cache-cache s'entama alors. Le livre tournait frénétiquement autour des rayons, tantôt essayant de passer sous les étagères, tantôt feintant sur la direction qu'il empruntait. Mais le Bibliothécaire ne se laissait pas distancer: il bondissait agilement, se suspendait aux étagères, faisait de grands bons par dessus en s'aidant de ses bras, tout en évitant soigneusement de faire tomber le moindre bouquin. Il fallait faire vite: si cette chasse au livre continuait, les autres s'exciteraient à leur tour, et ce ne serait pas un mais une dizaine de livres qu'il aurait à rattraper.

Il s'immobilisa soudainement. La calme était revenu dans la Bibliothèque, et plus rien ne bougeait. Le petit sacripan s'était encore planqué. Lentement, le Bibliothécaire avança, l'oeil vif et le pas léger. Flairant quelquechose, il s'arrêta, puis après être resté ainsi immobile quelques minutes, leva soudainement la main et l'abattit violemment dans un rayon. Il l'avait! Le petit malin s'était rangé de lui même dans une étagère afin de se camoufler parmi les autres livres. Mais comme dirait l'expression, on n'apprend pas au vieux singe à faire la grimace: le Bibliothécaire connaissait par coeur l'emplacement exact de chaque livre de sa Bibliothèque, et les rangeait toujours méticuleusement à la même place. La présence du livre qu'il cherchait justement à attraper dans un rayon qui n'était pas le sien ne pouvait donc pas échapper à son regard acéré. D'un air satisfait, le Bibliothécaire emporta le livre avec lui en se dandinant vers son bureau, ouvrit un tiroir où il le déposa soigneusement et ferma le tiroir à clé. Il fallait maintenant changer la chaine avant que le précieux exemplaire du Velocius Animus Billis ne reprenne sa place habituelle parmi les siens.

Il était tard dans l’après-midi lorsque la lourde porte de la Bibliothèque grinça en s’ouvrant lentement. Le temps dehors était gris, et en ce milieu de semaine peu de gens fréquentaient la bibliothèque, si bien qu'en ce moment il n'y avait personne. Le Bibliothécaire somnolait d’un air béat sur son bureau, entouré de sa grosse couverture de laine à carreaux. Il ouvrit à motié un œil endormi lorsqu'il entendu quelqu'un rentrer. Il le reconnut immédiatement : c’était Morl Pordor, étudiant aqua de 3ème année , qui venait rendre le livre Divinas Corpus Noadamente de Horpus Perin, un classique du genre que tout bon étudiant dans cette matière se devait d’avoir lu. Enfin, en tout cas, le Bibliothécaire espérait bien que Morl venait le lui rendre, ce livre: il avait au moins 3 mois de retard, et la Bibliothèque n’en contenait plus que 2 exemplaires.

"Salut poilu ! Comment ça se passe le boulot aujourd’hui ? Nikel ?"

Le Bibliothécaire se leva, faisant ainsi tomber la couverture, puis sauta sur le parquet et se dandina vers Morl d’un air sévère, levant un doigt au ciel et le secouant d’un air de reproche :

"Ooook"

"Ouais, ouais, je sais" répondit Morl "mais j’en ai eu besoin un peu plus longtemps que prévu. J’ai du passer les rattrapages de mon exam de divination, et j'en avais absolument besoin pour réviser. Mais maintenant, plus de problèmes ! Le voilà."

Le Bibliothécaire lui reprit le livre des mains, l’épousseta en examinant l’état de sa couverture, puis se dandina d’un pas lent mais ferme vers les étagères. Laissant trainer son doigt sur la reliure des livres rangés à sa hauteur, il arriva bientôt à une place libre, où il remit soigneusement le bouquin à sa place. Il revint à son bureau sans jeter un seul regard à Morl qui n’avait pas bougé, puis mit ses binocles devant ses yeux, prit un crayon et commença à ratifier l'échéancier devant lui.

"Ook" fit il sans vergogne

"Aller, soit sympa, quoi" répliqua Morl d’un air mielleux "c’est pas comme si je t’empruntais souvent des livres !"

Puis voyant le regard sceptique du Bibliothécaire par-dessus ses lunettes, il enchaîna:

"Bon d’accord, à chaque fois que j’en emprunte un je le rends en retard, mais c’est la dernière fois, promis! 3 mois d’interdiction d’emprunter, ça me plomberait vraiment trop tu sais."

Le Bibliothécaire secoua la tête d’un air peiné, puis soupira et finalement effaça ce qu’il venait d’écrire avec un vieux bout de gomme machouillé.

"Merci frère… enfin... merci cousin très lointain, je te revaudrais ça !"

Et sur ces mots Morl sortit en trombe en claquant violemment la porte. Le Bibliothécaire posa la tête sur son poignet puis la secoua encore une fois d’un air ennuyé.

"Ooook" conclut-il avant de remonter sur son bureau à l’aide de ses bras, puis s’en retourner dans sa tranquille et paisible somnolence.

La porte s'ouvrit soudain.

- VLAM -

Le vieux surveillant boiteux et puant fit son entrée dans la grande bibliothèque, lieu qu'il aimait visiter souvent, car c'était là qu'il espérait le plus avoir de punitions à distribuer, pour non respect du silence des études.
Il avait ouvert la porte mais était retourné et parlait fortement vers le couloir.

"Monsieur Pordor, la prochaine fois que je vous vois maltraiter les édifices de l'école vous devrez huiler chaque gond de chaque porte du château!!!! gmmflll!!!"

Il n'avait pas pu le prendre sur le fait, mais cet Aqua aurait été la cible parfaite de la mauvaise humeur du surveillant.
Le vieux Rufus boita ensuite jusqu'au bureau du bibliothécaire.

"Gmrblll... 'jour...alors...pas de raffut à signaler? Parce que j'ai justement...hin hin... réaménagé mon bureau pour accueillir les contrevenants..."

Il grinça des dents de plaisir, faisant un bruit désagréable et lorgna l'Orang-Outan d'un oeil déformé. Il avait effectivement trouvé une nouvelle chaise magique qui piquait les fesses de quicquonque s'asseyait dessus, une bonne vieille torture simple pour commencer l'entretient dans son bureau.